1. Lors d’une séance de Watsu, la synchronisation des respirations du donneur et du receveur est primordiale. Pour Harold Dull, elle constitue une caractéristique du Watsu qui lie la coordination des mouvements à l’harmonie des respirations (« Watsu as a Path of Meditation, Connection, Exploration and Flow »). « Contrairement à d’autres formes de travail corporel aquatique qui font voyager ou danser un receveur dans toute la piscine », la proximité constante des deux corps, qui donne au Watsu sa dimension maternante, permet au praticien de suivre facilement la respiration du receveur (« Defining Presence in Watsu »). Pour Harold, la seule musique qui doit rythmer une séance est celle de la respiration du receveur, même si elle est discrète et légère.
2. Dès l’Ouverture (Opening) de la séance, l’abandon à l’eau permet aux deux corps qui se font face de bouger sans effort au rythme de la respiration, de se soulever sur l’inspiration, de s’enfoncer sur l’expiration. Le donneur peut ainsi établir une connexion à la respiration du receveur qui rythmera les premiers mouvements du Watsu Basic, la Danse du souffle de l’eau, les Offrandes comme les Accordéons.
3. Premier mouvement d’une séance, la Danse du souffle de l’eau (Water Breath Dance) symbolise le Watsu à partir du milieu des années 1990, lorsque les flotteurs commencent à être utilisés et que la priorité aux étirements caractéristique des débuts s’élargit pour intégrer une profonde connexion à la respiration (« What Distinguishes Watsu »). C’est un mouvement d’ascension et de descente dans l’eau engrendré par les respirations accordées du receveur et du donneur. Le donneur ne fait rien d'autre que de suivre le souffle du receveur.
4. L’Accordéon est un autre mouvement dont Harold détaille précisément le rythme respiratoire : « quand vous êtes prêt à expirer, sans effort, vous laissez le bassin du receveur couler tandis que vous rapprochez vos bras, et vous attendez jusqu’à ce que vous sentiez l’inspiration du receveur. À chaque inspiration, vous ouvrez un peu plus vos bras en ressentant cette expansion à travers tout votre torse. À chaque expiration, vous laissez le bassin couler un peu plus profondément, sans faire aucun effort. » De même, l’Accordéon roulant (Rotating Accordion) se fait avec des respirations synchronisées. On ne rapproche les deux genoux du receveur de sa poitrine lorsqu’il inspire car cette petite violence contrarierait son rythme respiratoire. Et si à ce moment le praticien inspire, cela engendre une contradiction entre l’action volontaire et musculaire de ses bras et les effets involontaires de l’ouverture du thorax résultant de cette inspiration.
5. Tout cela est bien connu. Ce qui l’est un peu moins, beaucoup moins, voire pas du tout, c’est que la réussite de certains mouvements, notamment dans le protocole du Watsu 2, exige de respirer à contretemps par rapport au receveur. L’habitude de suivre la respiration du receveur est si profondément ancrée chez certains formateurs ou praticiens qu’ils s’obstinent à la pratiquer même dans les mouvements où c’est contre-indiqué voire un peu absurde.
6. Les étirements, ouvertures et autres torsions se font sur l’expiration du receveur, c’est-à-dire lorsque ses muscles se relâchent : Ouverture dorsale (Back Opening), Ouverture du thorax (Chest Opening), Torsion dorsale (Twist Over)… Cette indication est explicitement donnée par Harold pour l’Ouverture dorsale : « Quand le partenaire expire, vous étirez. Vous maintenez quand il inspire. Vous continuez d’étirer le haut et le bas du dos sur chaque expiration. » En revanche, Harold ne dit rien de la respiration du donneur lorsqu’il exécute ce mouvement. Or il est clair que l’écartement des mains accrochées à l’omoplate et à la crête iliaque sera plus facile, fluide et sensible si le donneur inspire profondément pour ouvrir sa cage thoracique, ce qui a pour effet mécanique d’éloigner ses bras l’un de l’autre. Pour dire les choses autrement, si le receveur doit être dans un état de relâchement musculaire, le donneur produit, lui, un effort musculaire facilité par les effets de l’inspiration. De plus, ces mouvements se font en sortant très légèrement de l’eau, ce qui se fait naturellement si le praticien est en phase d’inspiration.
7. La même logique conduit à pratiquer la respiration oppositionnelle lorsqu’on exécute une Traction de la colonne (Spine Pull). Si elle se fait lorsque le receveur se relâche, c’est-à-dire expire, elle s’exécute plus facilement si le praticien tend son Arbalète humaine en inspirant.
8. C’est dans le texte d’un Occidental sur le massage thaï ‒ Bob Haddad, « Breath and Body Mechanics in Nuad Boran » (1) ‒ que j’ai trouvé les analyses les plus lumineuses sur la respiration oppositionnelle (oppositional breathing). « La respiration oppositionnelle se produit lorsque le client et le thérapeute respirent en opposition l'un avec l'autre. Ce type de schéma respiratoire est bénéfique pour certains mouvements et techniques qui nécessitent de la force et de la concentration de la part du thérapeute, et de la relaxation (ouverture) de la part du client. Par exemple, lorsque le thérapeute exécute des Cobras (…), le receveur doit expirer lorsqu'il est mis en position. Le thérapeute, cependant, doit inspirer lorsqu'il le met en position, car l'augmentation de l'oxygène dans son corps lui donnera plus de force lorsqu'il engage ses muscles centraux et bouge son propre corps. »
9. Que les amoureux de l’orthodoxie respiratoire se rassurent : on retrouve la respiration synchronisée pour sortir des étirements, ouvertures et autres torsions (Bob Haddad donne l’exemple de la sortie d’un Cobra assisté). Ainsi, il est recommandé de pratiquer l’Ouverture du dos sur plusieurs respirations. Sinon le praticien se borne à effectuer une chorégraphie sans que le receveur ne ressente aucune ouverture. Après quelques respirations, le praticien adapte sa respiration pour expirer en même temps que son receveur, ce qui favorise la « remise à l’eau ». « Cela n'est pas aussi compliqué qu'il y paraît, et une fois que vous pratiquerez cette méthode de respiration, cela rendra votre travail plus facile et plus agréable. Prenez le temps d'envisager d'utiliser la respiration oppositionnelle dans votre pratique pour certaines poses et techniques. Et n'oubliez pas de vous synchroniser sur une expiration mutuelle lorsque vous relâchez ou revenez à la position de départ. » (Bob Haddad)
10. Tout l’art du praticien consiste donc à savoir adopter, selon les mouvements, la respiration synchronisée ou oppositionnelle. Un peu de réflexion, de pratique et de conscience permet d’identifier les mouvements nécessitant une respiration synchronisée et ceux qui fonctionnent mieux avec la respiration oppositionnelle.
Philippe Quillien
(1) In Bob Haddad, Thai Massage & Thai Healing Arts. Practice, Culture and Spirituality, Findhorn Press, 2013. Dans les écoles de massage thaïlandaises, les indications respiratoires sont rares et sommaires.